"Pour le partage des pratiques
Compte rendu détaillé de la manifestation sauvage BASTILLE-RUE ESQUIROL (XIIIe) de ce mardi 12 octobre organisée à la suite de la manifestation déposée MONTPARNASSE-BASTILLE de ce même jour
Dans la manifestation parisienne d’aujourd’hui, vous avez pu croiser un cortège offensif regroupé autour de la banderole «Contre l’exploitation, bloquons l’économie». Deux tracts étaient distribués, un dont le texte peut être trouvé ici et un autre plus petit et plus clair, un flyer, appelant à une action au départ de Bastille, en fin de manif.
À Bastille devant la banderole, 200 à 300 personnes. Difficile de se faire une idée de ceux qui sont là pour l’action. Un dernier tour de la place pour lâcher les derniers flyers que la plupart des gens refusent : «Ah ouais celui là on l'a déjà eu quatre fois».
Une fille prend un mégaphone et crie qu’on va y aller. Direction Quai de la Rapée pour aller à la Gare d’Austerlitz. Des feux à main rouges s’allument un peu partout et des pétards explosent. Pour l’instant, tout le monde jauge la situation, l’ambiance, les possibles ; certains observent les groupes de civils qui nous ont déjà rejoint (deux groupes de trois tous les vingt mètres de chaque côté du cortège).
Sur les quais, avant le pont d’Austerlitz, les robocops s’activent et semblent vouloir se mettre en travers de la route pour nous éviter de rejoindre le cortège de la manifestation, la vraie, la grande, qui va toujours vers Bastille. Plusieurs personnes crient qu’il faut s’activer, on court et hop nous voilà sur le pont, à contresens des syndicats. Notons brièvement l’efficacité de cette pratique ; quand cela est possible, couper ou remonter en manif sauvage le «vrai» cortège de la manifestation déposée permet de se débarrasser de tout un tas de nuisances. Les CRS ne s’y risquent pas et les civils se répartissent de façon plus éparse, ce qui a tendance à diminuer leur agressivité et leur combativité.
Au bout du pont, on tourne à gauche ; on marche vite et arrivés à 50m de la Gare d’Austerlitz, on se met tous à courir. Des militaires et des keufs dans la gare (plan Vigipirate oblige) paraissent surpris de voir 250 excités se ruer sur les voies et reculent quand des pétards leur éclatent aux pieds.
Sur les voies, on avance. Trop vite d’abord : un type se fait arrêter par le troupeau de BACeux (une grosse trentaine) qui nous colle maintenant au train et qui restera à nos trousses pendant tout le long de l’action. On ralentit pour attendre les trainards qui se font gazer ; on gueule qu’il faut rester groupés. Un type avec une barre de fer explose les caméras sur le quai. D’autres balancent des feux de bengale sur les civils. Un fumigène rouge est allumé. Beaucoup de personnes sont maintenant masquées et l’ambiance au sein du cortège est plutôt agréable : pour la première fois depuis des mois, on se sent comme portés par cette énergie que les dispositifs policiers et marchands viennent chaque jour annihiler. Rien d’inédit pourtant. Juste des gens dans un lieu où ils ne doivent pas être.
Pendant quelques instants la sensation d’être un peu libre.
Le choix de la Gare d’Austerlitz n’est sans doute pas le plus judicieux. Aucun train à l’horizon, il semblerait qu’on se trouve sur une voie de RER ou de train de banlieue dont aucun ne circule aujourd’hui. Efficacité de ce blocage des flux… Pas terrible.
Après dix bonnes minutes de marche, on bifurque sur la droite. On sort des voies par un petit portail nous permettant de rejoindre la rue ; là quelques encapuchados utilisent à merveille le mobilier urbain : en se planquant derrière une grille, il tirent des feux de bengale sur les civils à leurs trousses, encore sur les voies. Tirés comme des lapins, ils courent dans tous les sens pour se cacher, ce qui n’est pas désagréable à voir.
Il reste encore bien 150 personnes dans le cortège. On se remet en marche pour «une autre action» comme l’a crié quelqu’un en sortant de la gare. Difficile d’aller vers la Gare Montparnasse comme on le voudrait : trop loin donc trop risqué. Il semblerait que le but soit désormais de tenir le plus longtemps sans se faire serrer, un jeu dangereux auquel tout le monde semble prêt à jouer à ce moment là. On est alors sur le boulevard Vincent Auriol. Comme des asticots sur une plaie gangrenée, les civils ont vite refait leur apparition. Ils avancent à notre hauteur de l’autre côté du boulevard : on décide de courir un peu pour les distancer. Rien n’y fait. À la hauteur d’une rue débouchant sur le boulevard, plusieurs personnes crient qu’il faut la prendre, pour éviter l’arrivée des bleus imminente, si l’on en juge par le bruit des sirènes.
Grosse erreur stratégique. La rue dans laquelle on s’embarque est longue et sans échappatoire. Un long couloir vers les robocops que l’on voit se préparer au bout pour nous couper la route. La décision est prise par la tête du cortège de former une chaîne et de les charger ; pendant 1 minute, gros choc frontal. Un CRS tombe sur un type à terre, aucune chance pour le bonhomme qui se fait serrer. Des coups de matraques mais pas de gros bobos : sous leur casque, les bleus ont des tronches de mômes. Leurs grands frères doivent être restés à la Bastille pour mettre fin à toute velléité émeutière. Le choc rappelle quelques photos de la Grèce ; un ou deux bleus perdent l’équilibre. Les plus hardis (ou têtes brûlées) les tirent par les matraques et les boucliers. Force reste à la loi par le saint truchement d’une grosse gazeuse. Les yeux rouges, on fait vite marche arrière.
Dans le XIIIe, quartier de grandes tours et de barres d’immeubles, il est facile de passer d’une rue à l’autre par les jardins privés des résidences. On se retrouve dans une rue parallèle où une voiture de flics isolée s’encaisse plusieurs coups de pieds chassés. Tout le monde est fébrile, la nasse policière se referme peu à peu sur nous ; mieux vaut se séparer. D’instinct, plusieurs groupes de taille inégale se forment. Là les récits sont multiples.
Des copains se réfugient dans un immeuble pour se changer : un voisin sympa les fera passer par une cour intérieure d’où ils se glisseront dans une autre cour intérieure pour ressortir un peu plus loin, en sécurité.
D’autres se faufileront derrière une petite vieille qui rentre dans sa résidence. Une fois changés, ils se glisseront discrètement dans des petites rues adjacentes, et prendront le bus.
En espérant que ce fastidieux compte rendu puisse servir concrètement à tous ceux qui veulent s’organiser.
Un camarade, 12 octobre 2010. "
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