samedi 1 mai 2010

Lausanne & Zurich : Le 1er Mai agite toujours les casseurs, mais refroidit de plus en plus à gauche

" L’organisation de la Fête du travail crée des divisions parmi les forces de gauche, notamment à Zurich et à Lausanne. Face à la problématique des casseurs, qu’en est-il de la force de mobilisation de cette tradition ?


Cherchent-ils à fuir le 1er Mai ? À la veille de la grande réunion des travailleurs, seul un municipal zurichois sur neuf est présent à son poste : le libéral-radical Andres Türler. Cette désertion a de quoi intriguer dans une Ville dirigée par une majorité rouge-verte et dans laquelle le 1er Mai a une longue tradition. Ruth Genner est à Shanghai pour l’inauguration de l’Exposition universelle. Les autres ? Certains sont en vacances, les derniers ne sont pas encore entrés en fonction après les élections de mars dernier. Or sur les rives de la Limmat le rendez-vous peut être à haut risque.


À Zurich, la tradition de la Fête du travail est forte d’une histoire longtemps mobilisatrice. L’insurrection des jeunes au début des années 80 a revitalisé la manifestation syndicale. Or, depuis une dizaine d’années, le 1er Mai à Zurich fait souvent d’abord parler de lui pour ses émeutes : la «Nachdemo» qui suit les rendez-vous officiels, ses dégâts matériels et les réactions des forces de l’ordre éclipsent les revendications syndicales. Résultat, l’UDC réclame de manière chronique la suppression de ce jour férié.


Au sein des organisateurs non plus, l’ambiance n’est pas des plus sereines. Le comité du 1er Mai, qui se charge des manifestations parallèles au défilé, a choisi un slogan controversé : «Moneypulation. Verlieren wir die Beherrschung», formulation ambiguë qui peut passer pour une invitation à perdre tout contrôle. Certains syndicats déplorent cette provocation, «irresponsable» : «Depuis plusieurs années, nous nous efforçons de clairement séparer notre démarche de celle des casseurs, nous avons revu notre défilé pour éviter l’amalgame «1er Mai = violence» et pour réorienter l’intérêt des médias sur nos revendications», explique Remo Schädler, responsable Unia. De son côté, le mouvement d’extrême gauche Revolutionär Aufbau, bras politique du Black Block, convoque indirectement via son site pour un 1er Mai sur la Paradeplatz, «symbole de l’arrogance du pouvoir financier», évitée par le défilé officiel.


Le malaise dépasse Zurich. À Lausanne, les syndicats Unia et SEV ainsi que le Parti socialiste ont jugé opportun de se retirer du comité du cortège, entre autres par crainte des débordements. Justification d’Aldo Ferrari, responsable d’Unia : d’autres priorités accaparent cette année les forces à disposition. «Il a fallu se battre pour la votation de mars sur la loi sur la prévoyance professionnelle. Nous ne pouvions être présents sur tous les fronts. De plus, ce 1er Mai est un samedi, jour de repos des travailleurs.»


Des politiciens absents, des représentants syndicaux en conflit ou qui préfèrent s’abstenir… Que reste-t-il du 1er Mai ? Unia Suisse refuse de se focaliser sur des cas présentés comme des «exceptions». «Dans la majorité des lieux, tout se passe sans encombre et la mobilisation a crû ces dernières années», insiste Nico Lutz, porte-parole. L’un des thèmes de cette année est «Non aux bonis et aux profits pour les nantis». Il continue : «Le 1er Mai reste la journée des travailleurs avant d’être celle des politiciens. Tant que nous les mobilisons loin à la ronde, nous atteignons l’essentiel.»


La popularité de ce rendez-vous, né à la fin du XIXe siècle suite à une grève sanglante aux Etats-Unis, ne suit pas une évolution linéaire, estime pour sa part l’historien du travail Bernard Degen. Plutôt qu’un phénomène de progression ou de régression, un chaud-froid incessant, moins lié aux péripéties électora­les qu’aux thématiques abordées ou à la situation des travailleurs étrangers. Ceux-ci forment en effet la grande proportion du cortège. L’an dernier, 12 '000 personnes ont participé au défilé à Zurich, trois fois plus qu’en 2005.


Les échauffourées aussi ont déjà un lourd passé. Dans les années 1930, des représentants de l’extrême droite ont cherché à instrumentaliser cette date. Au début des années 1960, les tensions avec les travailleurs étrangers ont parfois dégénéré. Et les manifestations parallèles existent depuis longtemps. Mais ce qui est nouveau, c’est la composition des blocs qui défilent en marge. Ils sont difficiles à cataloguer, mélanges de hooligans, de militants d’extrême gauche et de casseurs, souvent sans motif politique.


À Zurich, le comité 1er Mai refuse de «capituler», malgré la position de repli de certains syndicats. «S’ils ont choisi de plier l’échine face aux vandales, c’est dommage ; nous ne voulons pas faire de même», explique Anna Klieber. «Le symbole d’une journée de rassemblement, pacifique, comme plate-forme de revendication, doit survivre.»


Le ton est similaire à Lausanne, dans la bouche du syndicat SUD et de son leader, Aristides Pedraza, engagé dans le défilé. «Le comité a demandé les autorisations et pris les contacts habituels pour que la manifestation puisse accueillir toutes les personnes qui veulent affirmer leur volonté d’égalité sociale. Les syndicats, même divisés, doivent faire preuve d’offensive. Nous assumons ce que font nos gens sans devoir assumer ce que font les autres.»


Leur presse (Anne Fournier, Le Temps), 30 avril. "

Ibid