"À Grenoble le 1er Mai, on démonte les caméras !
10 heures, place de la Gare. Il pleut. La manif s’ébranle peu à peu mais il y a plus de gouttes que de manifestants. Quelques milliers de personnes. Des personnes tractent contre les caméras, certains donnent un supplément de Fakir sur le « hold-up financier en cours », et d’autres vendent des Postillon, CQFD ou le (dernier numéro du) Plan B. Un cortège peu banal prend place derrière celui de la CNT. Entouré par trois grandes banderoles (« La Mairie se prend pour Big Brother, crevons-lui les yeux », « Démontons les caméras, reprenons la rue » et « + de flics, + de caméras, le Parti Sécuritaire devance Hortefeux »), il regroupe des personnes déguisées et masquées avec des couleurs vives.
Arrivé à l’intersection des cours Jaurès et Berriat, ce cortège se dirige vers une des caméras fraîchement installée par la mairie de Grenoble (voir la colonne centrale d’Indymedia). Une échelle est installée sur le poteau le soutenant, une personne monte dessus armée d’un marteau, trois petits coups et « paf » le globe extérieur et le système intérieur de la caméra tombent au sol. Le tout sous les applaudissements et vivas de la plupart des personnes présentes à ce moment-là autour du croisement. La personne redescend, l’échelle est remballée et le cortège reprend place dans la manif. La même opération est répétée — avec le même succès — au croisement des rues Lesdiguères et Maréchal Lyautey. Quelques minutes plus tard, deux fumigènes sont allumés, et les membres du cortège se débarrassent de leurs déguisements et des banderoles. Tout le monde arrive dans le calme à Verdun où les attendent des stands, des merguez et le rock de la CGT. Vu la pluie (et vu le rock), beaucoup de personnes partent immédiatement, d’autres discutent tranquillement.
C’est à ce moment qu’arrive Dorothée Cellard, la jeune commissaire de Grenoble, entourée de quelques membres de la BAC. Elle se pose à une cinquantaine de mètres du stand de la CNT et fixe les personnes présentes. Elle a ses yeux méchants des mauvais jours. C’est qu’elle est pas contente, Dorothée. Voire carrément ulcérée que cette action ait pu se faire sans que personne ne soit interpellé. Ça la fout mal pour elle, censée faire régner l’ordre dans cette manifestation. Et peut-être même qu’elle va être grondée par sa chef, la directrice départementale de la sécurité publique (DDSP) Brigitte Jullien. Et puis si elle veut « réussir », c’est-à-dire évoluer professionnellement, il lui faut des résultats, du chiffre, des interpellations. Et peut-être qu’alors elle pourra gravir les échelons de la police, devenir elle aussi « DDSP », fuir ce quartier de la Mutualité pour monter à Paris et pourquoi pas, avoir une responsabilité au ministère. Quand on a 28 ans et qu’on a 400 hommes sous ses ordres, ça donne des idées et surtout beaucoup d’ambition. Et il ne s’agit pas que ces « connards de gauchistes » contrecarrent ses plans.
Alors, au bout de quelques minutes d’hésitations, Dorothée, toujours entourée de ses musclés, se dirige vers une syndicaliste de la CNT pour l’interpeller. Cette CNTiste avait-elle fait quelque chose ? Sûrement pas, autre qu’un défilé tranquille à visage découvert. Mais ça elle s’en fout, Dorothée. Elle veut une personne, pour l’exemple, pour ses chiffres, pour sa carrière. On trouvera bien un chef pour l’inculper (« injures à la CGT », « jets de pluie », « discrimination en faveur du rouge et du noir »). De toute façon au commissariat, les chefs c’est pas ce qui manque.
Immanquablement, l’interpellation provoque la cohue. Une quinzaine de personnes tente de s’interposer. D’autres Baceux et des gendarmes mobiles arrivent en renfort. Bataille rangée de deux minutes. Les gorilles sortent les tonfas et tapent à tout va. Et réussissent finalement à ramener la CNTiste derrière leurs lignes. Un homme hurle et se roule par terre en se tenant la tête. Il a certainement pris un bon coup de tonfa et se retrouve avec une bosse de la taille d’un œuf sur son crâne chauve. Il a visiblement très, très mal et ne cesse de souffrir. Les pompiers arrivent cinq minutes plus tard. Pendant ce temps-là, la CGT et son à-propos légendaire, demande à toute la Place Verdun de souhaiter un bon anniversaire à un jeune homme de 12 ans, mais rechigne à donner le micro à des membres de la CNT voulant expliquer la situation. Finalement, la CNT appelle à un rassemblement devant le commissariat et une cinquantaine de personnes part en direction du boulevard Maréchal Leclerc.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons rien du dénouement de cette histoire : ni la durée du séjour au commissariat de la personne arrêtée, ni l’importance de la blessure du manifestant. Ce qui est sûr par contre, c’est que tout ça est dû à la volonté de Dorothée Cellard. Mais pour expliquer sa décision, nous avons peut-être omis un élément. Dorothée adore les caméras et leur doit beaucoup. Celles du Stade des Alpes, par exemple, lui permettent d’améliorer ses chiffres et d’augmenter son pouvoir, comme nous l’apprend un article du Monde d’hier (30 avril 2010) : « Dans les gradins du stade flambant neuf de Grenoble, un garçon rondouillard d’une vingtaine d’années fume tranquillement un joint. Il suit à peine le jeu de son équipe, le GF 38. Il ne sait pas que son visage joufflu est filmé sous différents angles. Une cinquantaine de mètres plus haut, dans le poste de sécurité du stade, Dorothée Celard, la jeune commissaire, est formelle : “C’est lui qui a craqué un fumigène contre Auxerre.” Quatre agents de la brigade anticriminalité (BAC) mémorisent son visage pour aller l’interpeller. C’est parti pour une mini-chasse à l’homme, dans les coursives du Stade des Alpes. “Les policiers doivent l’arrêter loin de sa tribune pour éviter les problèmes”, raconte Armand Blanco, directeur de la sécurité du GF 38. Les policiers sont guidés et aidés par des caméras — quelque 120 disséminées dans le stade et à l’extérieur. L’une d’elles est braquée sur “la cible”. Pour le moment, le jeune homme reste dans sa tribune, les agents en civil sont à quelques mètres de lui, mais impossible d’intervenir. “Il bouge, il bouge, informe la commissaire à ses hommes par talkie-walkie, il se dirige vers les toilettes.” À peine sorti des WC, il est interpellé, fouillé, arrêté en possession de quelques grammes de haschich devant son père, effaré. Quelques jours plus tard, il recevra une interdiction de stade. »
Le jeune homme en question avait-fait autre chose que de fumer un joint ? On ne sait pas. Mais malgré le fait que Dorothée soit « formelle », on se permet d’en douter vu l’interpellation d’aujourd’hui.
Ces histoires sont en tous cas une bonne réponse à ceux qui refusent les caméras en réclamant « plus de policiers ». Car vidéosurveillance et forces de l’ordre sont deux facettes d’une même vision de la société, où les contestataires n’ont pas leur place et où même d’inoffensifs supporters de foot fumeurs de joints sont scrutés dans leurs faits et gestes.
JCBG Grenoble, le 1er mai 2010.
il nous vidéofilment nous démonterons les caméras
Vous le saviez, la municipalité a installé entre janvier et mars 13 nouvelles caméras ultra-sophistiquées dans les rues de Grenoble. Elle prévoit actuellement d’en implanter dans les quartiers de la Capuche, du Village Olympique et du Jardin de Ville. Pour accompagner ces mesures, Destot et Safar, adjoint à la sécurité, augmentent le nombre de policiers municipaux, et étendent leurs horaires jusqu’à deux heures du matin. L’idée de les armer germe doucement. Face à cela, une campagne contre la vidéosurveillance et la gestion policière de nos vies a lieu depuis plusieurs mois à Grenoble.
Aujourd’hui 1er mai, 10 heures du matin, place de la Gare. Il pleut. Peu de gens sont venus pour manifester. Peut-être 2 ou 3 mille personnes. Derrière le cortège de la CNT, une bonne centaine de personne forme un cortège festif et coloré contre la vidéosurveillance. Masques, perruques, confettis, nez de clown, instruments de percussions … apportent un peu de couleur et de bonne humeur dans une manif qui s’annonçait bien tristounette. De grandes banderoles encadrent le cortège sur les côtés et à l’arrière : « Démontons les caméras, reprenons la rue », « La mairie se prend pour big brother, crevons-lui les yeux », « + de flics, + de caméras, le Parti Sécuritaire devance Hortefeux ». On peut aussi lire quelques pancartes comme « La police de proximité tire de plus près ».
La manif se met rapidement en route. Des clowns arpentent le bord de la manifestation en distribuant des tracts et le plan de la vidéosurveillance à Grenoble. Ils collent aussi quelques affiches. À l’arrière du cortège, une petite batucada chauffe l’ambiance.
C’est lorsque le cortège arrive à l’embranchement de Jean Jaurès et du cours Berriat que commencent véritablement les festivités. À cet endroit se trouve une des nouvelles caméras installées par la mairie. Très rapidement, les banderoles forment un cercle de protection autour de la caméra. Le cortège se place au milieu des banderoles. Une échelle est alors posée contre le poteau qui tient la caméra. Une personne monte alors avec un marteau. Il lui suffit de quelques coups pour que le dôme vole en éclat, et que la caméra qu’il contient se retrouve par terre. Aplaudissements et hourras partout autour !
Le cortège se reforme rapidement et reprend sa marche. Les confettis volent. Les slogans fusent : « À Grenoble comme ailleurs, démontons les caméras », « Police, caméras, on en veut pas »… Des personnes avec ou sans masque, parfois même avec des enfants, rejoignent le cortège petit à petit.
Des personnes repèrent Dorothé Cellard, grande chef des flics de l’Isère, avec ses collègues. Ils suivent le cortège d’un peu trop près. Quelques oranges pourries qui les frôlent leur signalent de se tenir à distance.
La manif se dirige ensuite vers le croisement Agute Sembat - Lesdiguière, là ou trône aussi une des nouvelles caméras. Un flic en moto stationne juste au dessous de la caméra. Qu’à cela ne tienne, le cortège s’avance et les banderoles entourent la caméra. Le flic recule et ne peut intervenir. Même technique que pour la première. Échelle. Marteau. Boum Boum Boum. Et de deux ! Le cortège reprend rapidement sa route sous les applaudissements des passants et des manifestants des cortèges voisins.
Le cortège reprend sa route en direction de la préfecture. Peu avant la place de Verdun, des fumigènes sont allumés à l’arrière du cortège. Les déguisements tombent. Les banderolles sont abandonnées, et en quelques secondes, le cortège a disparu. De leur côté, les flics s’empressent de ramasser tout ce qu’ils peuvent (déguisements, caddies, banderoles…). À défaut de pouvoir arrêter des gens, tous les indices sont bons à prendre pour essayer de savoir qui sont les démonteurs et démonteuses de caméras.
Aujourd’hui, de nombreuses personnes ont montré leur refus de la vidéosurveillance et de toutes les mesures liberticides que met en place la mairie de Grenoble. Sur les 13 caméras que la mairie a installé, deux sont déjà hors d’usage. Il en reste 11. Avis aux démonteurs et démonteuses amoureux de la liberté !"
https://paris.indymedia.org/spip.php?article1063