"Malgré l’overdose de pilules vertes, il serait sûrement stupide, par réaction épidermique, de vouloir se foutre éperdument de la question écologique. La destruction de l’écosystème, des cours d’eau, et de ce qu’il reste de forêt, l’utilisation outrageuse et polluante des ressources naturelles, la généralisation des produits chimiques et des ondes de toutes sortes dans notre environnement, nous promet une détérioration progressive de ce qui nous entoure, et de notre intégrité physique.
Tout cela ne vient pas de nulle part, et c’est dans la perspective d’une offensive contre ce qui peut engendrer ces dégâts écologiques (environnementaux et sanitaires) au nom de la santé économique, qu’il peut être judicieux de relever quelques impasses, ou en tout cas quelques limites, dans les démarches de ceux qui luttent pour l’écologie.
Il y a l’impasse apocalyptique, qui consiste à attendre 2012 que les problèmes se règlent d’eux-mêmes, l’impasse farfelue qui consiste à voter les verts, l’impasse nazie qui consiste à vouloir éradiquer une partie de la population humaine, l’impasse mystique qui consiste à réapprendre en soi le Lien entre la Vraie Nature et l’Homme originel.
Et puis il y a celle que l’on appellera l’impasse du colibri.
La part du colibri est une légende amérindienne qui a fait mouche dans les milieux écolos, alternatifs et décroissants : Dans une forêt en flammes, tous les animaux restent stoïques devant la catastrophe (? )… Sauf un petit colibri, qui s’acharne à pisser sur le feu. Un tatou lui demande alors ce qu’il peut bien foutre, et le colibri répond :« je fais ma part ».
Ce conte véhicule l’espoir de la force collective, mais avoue finalement l’impuissance des initiatives individuelles, quand elles sont imaginées sous l ‘angle de « si tout le monde faisait pareil » :
Ce pauvre colibri aura beau pisser sur le feu, il finira les ailes cramées. Il aura beau se vider la vessie, il ne pourra rien faire contre la force du feu qui le dépasse. Il aurait mieux fait de se barrer vite fait plutôt que de jouer les héros.
Une action individuelle peut passer complètement à côté de son objectif, quand elle est bercée par l’illusion de sa généralisation. Quand par exemple, face à la disparition des abeilles, mille personnes décident de construire des ruches pour faire perdurer l’espèce, hé bien il y en a 20 000 autres qui décident de ne pas le faire (ou qui ne peuvent pas), et il ne restera au bout du compte que la bonne conscience de s’être dit « J’ai fait ma part de petit colibri », mais des abeilles, il n’y en aura plus.
Il ne s’agit pas ici de condamner une initiative pour ce qu’elle est, ou de la juger inutile, mais de pointer du doigt l’absurdité de vouloir viser des cibles hors de portée. Par exemple, il est sûrement bien plus accessible, et honnête, de se mettre au jardinage quand le but est de se faire plaisir, de tuer le temps, de le faire par fierté personnelle, ou avec la volonté inavouée de montrer le « bon exemple », plutôt qu’avec l’espoir de mettre un frein à l’agriculture intensive, qui de toute façon s’en bat gentiment les couilles.
Une initiative, pour ne pas être perdue d’avance, ne peut être envisagée que si elle contient déjà en elle toute sa force et sa perspective. Se contenter de faire sa part, c’est se désavouer en tant qu’individu.
Extrait de Kanyar N°1, journal anarchiste, Strasbourg."
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