Notes de lecture
A ceux qui se croient libres
Nadia Menenger – L'insomniaque
Ce bouquin, qui est sorti fin 2009, retrace la vie de Thierry Chatbi, « prisonnier social » ayant passé 25 années de sa vie (sur 50) à l'intérieur des prisons de France, dont plus de 13 à l'isolement. Nadia Menenger écrit assez peu au final, s'efface discrètement derrière son sujet, et compile donc lettres, dessins, interviews de Thierry Chatbi, mais aussi communiqués de mutins ou de prisonniers en lutte et témoignages d'autres taulards longue durée, dont plusieurs encore derrière les barreaux. Le grand intérêt de l'ouvrage est cette ouverture sur des tas d'aspects et points de vue, qui fait que ni l'auteur ni son sujet ne sont placés sur un piédestal quelconque, et que cet ouvrage sur un copain qui a choisi de quitter cette Terre est un hommage d'autant plus fort qu'il n'en fait pas un héros, ou un martyre. On est loin ici de la complaisance autobiographique, et de l'autobiographie tout court (les « faits reprochés » sont très brièvement évoqués, par exemple) : ce qui est au centre ici, c'est contre quoi Thierry s'est battu toute sa vie : l'exploitation, l'autorité carcérale, l'isolement et le monde qui les produits. Ce choix d'avoir un point de vue penché sur les luttes et non les personnalités ou les exploits personnels me semble particulièrement pertinent, à l'opposé des glorifications de tel ou tel héros braqueur ou « politique ». Les embrouilles avec les prisonniers d'AD, justement, sont peut – être trop brièvement évoquées, en tout cas, la difficulté qu'ont eus les différents prisonniers « politiques » (basques ou d'extrême gauche) à penser la lutte anticarcérale dans son ensemble logique et pas seulement d'un point de vue politico centré est relevée et particulièrement intéressante. Sont aussi évoqués les différents aménagements de la taule, tels que la télé par exemple, qui atomisent encore plus et sont loins d'apporter une quelconque libération aux prisonniers. Et justement, sur la télé comme ailleurs, le caractère universel des aliénations (dedans et dehors) est bien vu. Nulle part dans le livre la prison n'est vue comme un monde à part.
Après, il y a quelques regrets sur les « nouveaux taulards », qui seraient moins énervés qu'autrefois, bon ça a sûrement du vrai, mais quand on lit ce qu'écrivait Pedrini y a des décennies... [1] A l'intérieur comme à l'extérieur, la capacité de veulerie et de lâcheté de nombre d'individus est le lot avec lequel doivent jongler tous les révoltés, mais c'est sûr qu'en prison on le vit à chaque instant, promiscuité oblige, bref. Comme remarque négative aussi, c'est sûr que c'est dommage que le bouquin coûte 12 euro... Ca s'achète, mais après si on a envie de l'offrir à ses copains copines, de le foutre dans une biblio alternative sympa et de le filer à des inconnus intéressés, c'est plus compliqué. Enfin, les limites des revendications « contre l'isolement », « contre les longues peines » sont trop vite évacués, en quelques lignes qui disent que combattre cela c'est combattre l'enferment en soi, mais alors, pourquoi ne pas mettre en avant directement la lutte contre l'enfermement en général, à part parce que « ça a toujours été les revendications des prisonniers en lutte » ? Bon, éternel question des revendications immédiates et des convictions profondes, mais c'est moins la réponse qui est donnée que la place accordée à celle ci qui m'a dérangé.
Bref, pour conclure c'est mieux que les livres bizarres que sort habituellement L'Insomniaque (genre De la Pourriture), ça fout la haine et c'est gravement large, détaillé et instructif. A lire, pense – je.
[1] « La mentalité de la plupart des détenus » par Belgrado Pedrini - http://www.non-fides.fr/spip.php?article403