dimanche 27 mars 2011

Lettre à Yves C. à propos de son article « Emprisonnés depuis la mi-janvier, Dan et Olivier ont besoin de notre solidarité matérielle et politique »

"Cher Yves,

Je me permets ici de répondre publiquement à ton communiqué daté du 20 février 2011 et intitulé « Emprisonnés depuis la mi-janvier, Dan et Olivier ont besoin de notre solidarité matérielle et politique ». Il ne s’agit aucunement de créer la polémique pour la polémique, au contraire, il s’agit d’éclaircir quelques pistes souvent boueuses et opaques, souvent évoquées mais rarement approfondies ou soumises à un examen critique posé et serein, du moins publiquement. Cela notamment en raison de la gravité du sujet traité, puisque des personnes ont été ou sont actuellement otages de l’Etat, mais aussi, ce qui revient au même, en raison du chantage affectif qui gravite en permanence autour de ces questions et de l’« urgence » invoquée, qui vient souvent polluer toute réflexion.

Ce que j’ai à dire, en effet, je l’affirme tant aujourd’hui qu’hier, urgence ou pas, car cet argument massue de l’urgence doit cesser de sacrifier sur son autel quelques principes qui pour moi, en tant qu’individualité anarchiste sont essentiels, comme l’éthique, ou le combat de toute forme de politique : chapelet des pires dérives stratégico-tacticiennes. Il s’agit ainsi de permettre à une sincérité si rare et fragile d’émerger au sein d’un milieu militant rangé par les ambitions de pouvoir d’un côté, et par le manque d’audace théorique comme pratique de l’autre (qu’on pourrait résumer rapidement par l’« activisme »).

Tu fais référence à l’affaire de Tarnac, ce qui me permet ici d’exprimer certaines choses que je ressens depuis longtemps, mais qui à l’heure de la publication d’une dernière tribune insoutenable dans Le Monde, a besoin de sortir. Je vais donc saisir l’opportunité de cette lettre de réponse à ton texte, qui fait lui-même la « comparaison », pour exprimer mon aversion profonde pour la stratégie de défense et les offensives médiatiques des inculpés de Tarnac.

Tu commences ton texte en soulignant que cette intelligentsia de gauche qui a fini par devenir le principal soutien médiatique des inculpés de Tarnac, n’a pas daigné s’intéresser l’affaire de Dan et Olivier, ce qui est parfaitement vrai. Mais cela est loin d’être un hasard, et j’ose imaginer que si cela avait été leur volonté, ils auraient tout aussi bien pu, également, faire vibrer la corde du scandale et de l’indignation, noircir les pages des quotidiens et des hebdomadaires de la bourgeoisie, envoyer leurs familles sur les lignes de front médiatiques, convoquer des élus à leurs parloirs et exploiter au maximum le potentiel marketing de leurs histoires. Car si l’on coupe les choses en quatre et qu’on ne garde que le plus truculent, on pourrait résumer cette affaire à la romantique affirmation qu’« ils ne sont que des jeunes, bien intégrés dans la société, qui ont décidé sur un coup de tête maladroit et soixante-huitard, de repeindre quelques murs de leur poésie juvénile, et que l’infâme bulldozer judiciaire à la botte d’un président néo-fasciste et pas gentil, a décidé de détruire en les incarcérant », suivi de la cohorte habituelle de pétitions et de « J’accuse » de la petite bourgeoisie de gauche des beaux quartiers. Imagine un peu les gros titres ! « Nouvel échec de la politique sarkozyste », « Portrait de cette nouvelle jeunesse en colère » commentés autour d’une coupe de champagne aux soirée de Monsieur l’ambassadeur. Je m’égare mais je m’amuse.

La surexposition médiatique de l’affaire de Tarnac (ou plutôt de ses inculpés) ainsi que son instrumentalisation consentie au profit d’une recomposition de la gauche, sont le résultat des choix qui ont été faits par les inculpés et qui ne serons jamais ceux de Dan et Olivier.

Voilà donc pourquoi le silence médiatique de la presse et des intellectuels germano-pratains, bien heureusement, entoure cette affaire. Mais il faut noter quelque chose de réjouissant, c’est qu’à ce silence se superpose le fracas des compagnons et camarades qui sont venus poser le problème de cette affaire, et du système qui l’a provoqué, dans le social, dans la rue, plutôt que dans les salles de rédactions putrides des médias et les hémicycles plaqués or de la démocratie. Tables de presse, discussions, ballades, tracts, affiches, actions de solidarité à travers la France et ailleurs ont ponctués leur incarcération et continuent de le faire. Mettant toujours en perspective ces arrestations avec les questions de la machine à expulser et des révoltes actuelles des pays arabes. Rappelant aussi à chacun que ce cas n’est qu’une infime partie des conséquences d’un mode de gestion de la guerre sociale, et au passage, qu’il n’y a ni deux, ni neuf prisonniers en France, mais bien 65 000, et qu’une bonne centaine de milliers d’autres naviguent entre contrôles judiciaires, bracelets électroniques, assignations à résidence et attente d’exécution de leurs peines de prison ferme. Et que la prison, c’est aussi les centres de rétention, l’enfermement psychiatrique et la société en général.

Voilà notamment, quelques-unes des choses que les inculpés de Tarnac ont oublié, à dessein, d’affirmer dans leur défense, suivis par une cohorte de comités de soutien tout aussi confus qu’amnésiques.

Comme tu le soulignes avec raison, ils ne demandent « aucune faveur particulière à l’Etat républicain bourgeois ou à ses soutiens socialistes ou communistes ». Cela tout simplement parce qu’ils font partie du problème de ce qu’ils combattent. Il leur paraîtrait inacceptable alors de faire front commun avec tous ceux qui demain les enfermeront à leur tour. Et ce n’est pas un hasard si les inculpés de Tarnac n’ont jamais affiché dans leurs interventions publiques l’un des principes fondamentaux de tout révolutionnaire un tant soit peu anti-autoritaire : le fin de la prison sous toutes ses formes et la fin de l’Etat. Car ce serait pour eux, s’amputer du soutien de toute une gauche qui expulse, enferme et assassine. Ce serait se mettre à dos le syndicat de la magistrature qui fait son beurre dans la profession d’enfermer, le PS qui a mis en place un système d’expulsion des sans-papiers dont la droite au pouvoir n’a fait qu’entretenir les rouages, etc. Aussi, à force de mettre en valeur le caractère soi-disant « exceptionnel » de la juridiction anti-terroriste, ils ont presque fini par faire accepter le droit commun, qui touche bien plus d’êtres humains, comme Dan et Olivier et tant d’autres.

Voilà pourquoi, à la lecture de l’article « Paris-Texas, une proposition politique des mis en examen de Tarnac » publié dans Le Monde du 25 février 2011 le seul sentiment qui m’a traversé fut le dégoût. Cette diatribe anti-sarkozyste à la forme si soignée, réussit mal à cacher qu’elle n’atteint même pas le degré zéro de l’analyse pourtant suffisante pour entrer au panthéon de l’activisme. En effet, ce texte brille par son vide idéologisé, typique de ce que toi même tu analyses régulièrement dans ta revue, cette gauche radicale « anti-fasciste » qui se cherche et se trouve au gré des contre-sommets et qui a trouvé dans l’affaire de Tarnac un véritable tremplin ainsi que quelques leaders de conscience. Mais rien de neuf sous le soleil, le dégoût dont je parlais n’est pas le résultat de cela, ce dégoût est provoqué par la tentative de récupération qui est faite à leur encontre. Ils y sont présentés comme leurs « camarades », des « opposants » ou encore comme une « jeunesse politisée ». Y sont aussi instrumentalisés les compagnons persécutés par l’Etat grec.

J’espère ne pas avoir trop profité de cette réponse à ton texte pour tenter de répondre partiellement à l’offensive politique des « épiciers-terroristes » apprentis menuisiers et des adeptes crédules qui composent pour l’instant leur cour. Il s’agit seulement d’ajouter quelques éléments entre les lignes. En espérant soulever un débat qui existe déjà depuis longtemps chez de nombreux anti-autoritaires et que je ne souhaite ici que réintroduire avec mes mots. Au plaisir, donc, de provoquer à nouveau cette discussion loin d’être terminée, mais aussi que ces tentatives de récupération politique ne salissent pas les compagnons incarcérés.

PS : voici le lien vers la lettre d’Yves sur mondialisme.org http://mondialisme.org/spip.php?art..."

http://grenoble.indymedia.org/2011-03-27-Lettre-a-Yves-C-a-propos-de-son