vendredi 2 septembre 2011

De la cour de recréation aux services de renseignements

"Les services de renseignements suisses ont fait surveiller des altermondialistes en Suisse et à l’étranger. Maintenant, un mouchard parle de ses activités.

L’homme était un mouchard pour les service de renseignements genevois et fédéraux. Il n’a pas infiltré une cellule de terroristes supposés – mais l’organisation altermondialiste Attac à Genève. Il était censé y nouer des contacts avec des groupes « plus radicaux ». Point de rencontre : la gare Cornavin à Genève. C’est une journée chaude. L’ancien indic, appelons-le Lorenz, est un homme débraillé. Il porte des shorts, des cheveux légèrement décoiffés, une barbichette.

« C’était à la fin de ma scolarité au collège, à l’été 2005. Une collègue de classe m’a demandé si j’avais envie de travailler comme indic de la police dans le milieu de l’extrême-gauche », dit Lorenz. Alors, âgé de 19 ans à l’époque, il rencontre un employé de la « Cellule renseignements », le service des renseignements genevois. La Cellule collabore étroitement avec la centrale de l’ancien service des renseignements de l’intérieur « Service d’analyse et de prévention SAP » (aujourd’hui : Service des renseignements de la Confédération SRC).

Lorenz ne veut pas donner le nom de l’agent qui avait une fonction dirigeante dans la Cellule à l’époque. Il ne veut pas « provoquer une guerre avec la police ». De toute manière, il dit avoir eu un rapport presque amical avec cet homme. Il l’appelle Philippe.

La première rencontre : « C’était un peu comme dans un film. Nous avons tourné un moment dans sa voiture », se rappelle Lorenz. Il lui aurait dit de collaborer avec Attac Genève. Puis, Philippe lui a donné un téléphone portable pour garder contact. Par la suite, ils se sont rencontrés toutes les deux ou trois semaines dans des cafés.
La première mission

Lorenz s’est rapidement rendu compte qu’Attac n’était pas la cible principale de la mission d’infiltration. « Il s’agissait surtout de se procurer des informations par rapport aux manifestations. » Attac en tant qu’organisation « ouverte » n’était qu’un moyen pour d’autres fins, dit Lorenz. « J’étais censé participer à des réunions de comités pour Attac afin de me rapprocher peu à peu des groupes plus radicaux. »

Sa première « mission », c’était une manifestation contre l’Organisation mondiale du commerce à Genève en 2005. Plus d’une centaine d’organisations suisses et étrangères avaient appelé à celle-ci. Lorenz a participé aux réunions de préparation. Pendant la manif, il était également en contact direct avec la police par le biais de son téléphone portable. « Ils voulaient savoir ce qui se passait à l’intérieur de la manif, si des gens se cagoulaient par exemple. » Il n’y a pas eu d’incidents. Aujourd’hui, les procès-verbaux des réunions de préparation sont encore consultables par tous sur Internet. Lorenz est ensuite parti pour assez longtemps suivre son école de recrues et en vacances. En septembre 2006, il était de retour. Philippe lui a présenté une nouvelle personne de contact : Marc de la centrale du SAP à Berne. Un romand, assez âgé. Il était censé prendre le relais de Philippe après un certain temps. Quant à Philippe, il a été transféré dans une autre section à l’intérieur de la police genevoise. Marc lui a également donné un téléphone portable, dit Lorenz.

Par la suite, le service des renseignements a mis Lorenz derrière les mobilisations contre le forum économique mondial de Davos et le sommet du G8 à Heiligendamm en Allemagne. Lorenz se souvient de deux organisations qui intéressaient particulièrement le service des renseignements : le Revolutionärer Aufbau de Zurich et le réseau de mobilisation anti-G8 autonome « Dissent ! ». Le militant genevois a connu Olivier de Marcellus qui avait par exemple des liens avec « Dissent ! ». « Si tu as la chance de te rapprocher de lui : il nous intéresse », lui aurait dit Philippe, selon Lorenz. Il dit avoir parlé une ou deux fois avec de Marcellus. Il n’y a pourtant pas eu un vrai rapprochement. En revanche, il a participé à une rencontre informative du réseau « Dissent ! » à l’espace autogéré à Lausanne en décembre 2006.
Encore plus de mouchards

Fin 2006 également, Lorenz est allé à Berne pour une réunion de préparation d’actions à Davos. Il dit ne plus se souvenir de ce qui a été dit lors de cette réunion à la Reitschule. « Je ne comprends de toute manière guère le suisse allemand. » Il se souvient pourtant qu’il y avait enfin rencontré un représentant du Revolutionärer Aufbau. Une autre personne également présente lui a été décrite par le service des renseignements en avance : « Il m’avait dit : ’Lui, il est violent – certainement contre des objets, mais peut-être aussi contre des personnes.’ »

Lorenz est sûr que, hormis lui-même, il y avait d’autres mouchards. « Il m’ont montré des procès-verbaux de réunions et des invitations à des réunions que le service des renseignements n’aurait pas pu se procurer autrement. » Il ne dit cependant ne pas pouvoir le prouver.
Dans l’armée des clowns

Sa prochaine mission l’a amené d’abord à Zurich. Le GSsA avait appelé sur sa mailing list à gêner la rencontre à Davos sous la forme d’une armée de clowns. Le 26 janvier 2007, il a participé à une réunion de préparation au squat « Kalkbreite » à Zurich. Une personne qui y était aussi se souvient de lui : « Je pensais : ’Cool, il y a même quelqu’un de Genève qui est venu.’ »

Lorenz a appris à cette rencontre que la soi-disant armée des clowns ne voulait pas respecter le parcours autorisé de la manifestation le lendemain à Davos, mais aller directement devant les hôtels de luxe et y créer du chahut. Plein de zèle, il l’a dit à l’agent du SAP, Marc. Malgré sa proposition de dormir dans un hôtel, Lorenz a passé la nuit avec des militantEs. Le lendemain, le mouchard s’est amusé à Davos au service de l’armée des clowns.

En été 2007, l’indic est allé à Rostock dans un train spécial avec plusieurs centaines de personnes de toute la Suisse. C’était sa dernière mission. L’agent Marc était aussi à Rostock – cependant dans un hôtel. « Je l’ai rencontré deux fois », ce qui n’aurait pourtant pas été facile puisqu’il devait trouver des excuses pour que ses collègues d’Attac ne se méfient pas. « De toute manière : je n’avais pas grand-chose d’intéressant à lui raconter. Et je n’étais plus très motivé non plus. »

A ce moment-là à Rostock, il semble qu’une sorte d’Internationale des services de renseignements ait été présente : « Il y avait des Français, des Suisses, etc. Chacun avait ses indics », dit Lorenz. Lui n’aurait pourtant rencontré que Marc.
Agent provocateur

Un autre indic a été découvert début 2011 : le policier anglais Mark Kennedy qui a infiltré des groupes de gauche en Angleterre, en Allemagne et dans d’autres pays pendant au moins sept ans. Il a participé à des blocages au sommet G8 à Heiligendamm. Un agent provocateur.

Le land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale aurait explicitement demandé à employer un agent infiltré britannique selon le « Spiegel Online ». « Je n’étais en revanche qu’un petit joueur », dit Lorenz. Et en tant que « petit joueur », il a reçu 2500 francs pour trois jours à Rostock. « En tout, j’ai gagné environ 10000 francs. » L’argent lui aurait été versé en espèces.

Après un certain temps, le fait qu’il était censé fournir des informations, mais que ses personnes de contact ne lui ont jamais rien révélé, commençait à le déranger. En plus, il n’a jamais été formé pour sa mission. « Il ne m’ont pas dit quelles limites il fallait que je respecte, ils ne m’ont guère donné de conseils. »

Et c’est ainsi que Lorenz a terminé sa carrière d’indic et s’est voué à ses études en sciences po par la suite. Lui, qui se dit gauchiste (« proche du PS et des Verts »), il ne veut pas mettre en question la collaboration avec les service des renseignements. Il veut en revanche tourner la page. « C’est pourquoi j’ai contacté Attac. Je ne veux pas trimballer un secret pendant des décennies comme Günter Grass. » Il ne veut néanmoins pas voir son visage et son nom dans le journal. « Moi aussi, je voudrais pouvoir aller à une fête à la Reitschule en tant que visiteur normal », dit-il.

Et les infiltrés, il pensent quoi ? Allessandro Pelizzari d’Attac Genève : « Nous voulons être une organisation ouverte. Nous l’avons donc accueilli à bras ouverts. » Pelizzari n’est pas surpris que le groupe se soit fait infiltrer. « Mais je suis surpris que ce soit lui. On n’a jamais été méfiants à son égard. » Il dit ne pas être en colère. « Mais je suis énervé qu’on ait été aussi naïfs. » En tant que syndicaliste à Genève, il a d’ailleurs été victime à maintes reprises de restrictions par l’Etat des formes d’expression démocratiques. Andreas Cassee du GSsA considère l’infiltration comme une « attaque sur la culture démocratique ». Il serait important de pouvoir s’organiser ouvertement et de manière démocratique. « Le service des renseignements, veut-il semer de la méfiance ? Veut-il que les groupe s’isolent ? »

Le service des renseignements de la Confédération – ce qui est peu surprenant – ne veut « ni confirmer ni démentir cette affaire ». Le SRC a pour principe de ne répondre à aucune requête par rapport à « des activités opérationnelles supposées ».

A Genève en revanche, on dément : « La police genevoise n’a pas ’infiltré’ le groupe Attac. En ce qui concerne les lois sur la sécurité intérieure, il n’y a pas de raisons de surveiller cette organisation. »

Il y a un certain nombre de questions qui restent ouvertes : pourquoi ont-ils visé des groupes comme Attac et le GSsA qui ne sont de toute évidence pas une menace pour la sécurité intérieure ? Sur quelle base légale, tout cela a été fait ? Est-ce que l’Allemagne était au courant de sa mission ? Et pourquoi, les services de renseignements recrutent des jeunes dans la cour de recréation ?

Traduit par le Réveil.

Article tiré de la WOZ et disponible sur Indymedia Suisse Allemande."

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