vendredi 24 décembre 2010

Le ministère de l’Intérieur porte plainte contre Indy Paris

"Brice Hortefeux porte plainte contre un site « anti-flics »

Figaro, 23/12/2010 | 16:54

Le ministre de l’Intérieur satisfait une demande des syndicats de police, inquiets de voir proliférer sur Internet des contenus appelant, selon eux, à la haine, voire à l’agression des policiers.

« Le nombre de sites anti-flics prolifère dangereusement sur la Toile » s’inquiète Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat de gardiens de la paix Alliance. Interrogé par Lefigaro.fr, le patron du syndicat estime que ce type de sites Internet existe depuis longtemps, mais qu’ils sont « de plus en plus violents et de plus en plus diffamants ». La découverte, ces derniers jours, du site paris.indymedia.org achève de le convaincre qu’il faut agir : « Sur ce site, de nombreux articles sont illustrés par des clichés photographiques de fonctionnaires de police nettement reconnaissables », écrit le syndicaliste au ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, lundi.

Les internautes sont en effet invités à identifier, photographier et filmer « chaque flic en civil », le tout « pour que l’insécurité gagne leur camp », est-il écrit. « Nous identifierons un à un ces déchets », promet ce site, qui compare la police française à la Milice, en l’estimant « digne des grandes heures de Joseph Darnand ». On peut y voir des photos de policiers en civil, certains avec leur identité, affublées de commentaires. Ainsi une photo de policier avec son nom, son service et une légende assurant que son tee-shirt est une marque « fétiche du néo-nazisme international ».

Le secrétaire général d’Unité-SGP Police, Nicolas Comte, s’est également fendu d’un courrier alarmiste au ministre, lundi : « Les propos tenus sur le site Internet sont insultants pour les policiers et peuvent mettre en danger leur sécurité et celle de leur famille », y écrit-il. Mercredi enfin, le syndicat Synergie Officiers s’est offusqué, par la voix de son reponsable Mohammed Douhane : « L’injure et la diffamation et toutes les atteintes à l’image de l’institution policière doivent être condamnées avec la plus grande fermeté ».

Flou juridique

Le « geste fort pour la défense de l’institution police » réclamé de concert par les syndicats ne s’est pas fait attendre : jeudi, Brice Hortefeux a annoncé qu’il porterait plainte contre paris.indymedia.org. Le ministre s’exprimait en marge d’un déplacement à Grenoble. Il n’a pas précisé dans l’immédiat la base juridique de sa plainte.

Or, pour l’heure, un flou juridique entoure ces questions. Car, comme l’explique l’avocate Anne-Laure Compoint à l’AFP : « Le fait de diffuser des photos de policiers sur la voie publique n’est pas répréhensible ». Seul « le fait de publier les identités et les photos de policiers en civil, et de dénigrer leur fonction les rend passibles de poursuites pour diffamation et atteinte au droit à l’image ». Par ailleurs, certains policiers, par leur fonction - comme ceux appartenant au RAID ou à la DNAT - sont protégés et divulguer leur identité « constitue une infraction pénale », a assuré une source proche de la direction de la Préfecture de Police de Paris.

Tonalité martiale

Le site Internet se présente comme un « collectif d’organismes de médias indépendants » et se « considère comme une sorte d’agence de presse ». Il se défend d’être « anti-flics ». Ce site s’inspire d’un concept né aux Etats-Unis dans les années 1980 afin de lutter contre les violences policières appelé ’copwatch’, où des patrouilles de citoyens filment ou photographient les interventions policières qui sont ensuite diffusés sur Internet.

Dans un communiqué à la tonalité martiale, il lance, à l’adresse des policiers : « Vous nous avez créé, vous allez nous subir. Nous sommes tout, vous n’êtes rien ». Et assume : « Oui, la police nationale est une milice digne de celle de Joseph Darnand. Lorsque celle ci tabasse des lycéens à coup de flashball. Quand la PAF exprime les pires insultes envers des immigrés clandestins comme à Calais ou à l’aéroport de Roissy. Quand la BAC chope des manifestants au hasard pour les cloisonner dans un hall d’entrée. Quand des civils jettent des canettes pour inciter les manifestants à faire de même et interpeller après, afin de faire du chiffre. Quand la police nationale exprime ouvertement son racisme et sa haine envers l’étranger (...) ».

Reste que c’est la réaction des syndicats de police qui a attiré l’attention sur ce site Internet. Mais, selon Jean-Claude Delage, « ne pas en parler aurait été pire que tout »."

"Copwatch : les flics fliqués sur le Net

Les inrocks, 22/12/2010 | 11H34

La guerre est déclarée entre Indymedia Paris, qui a publié des photos de policiers en civils, et le syndicat Alliance police nationale, qui en appelle à son ministre. Une polémique qui illustre le développement en France du copwatch, importé des Etats-Unis.

“Nous filmerons et identifierons les flics parisiens un par un”, promettent les anonymes qui ont posté une dizaine de photos de policiers, avec et sans brassards, sur le site Indymedia Paris (collaboratif, ouvert à tous et surtout utilisé par l’extrême-gauche), le 18 décembre. Le but : désigner au grand public quels policiers en civil sont chargés des manifs “afin que l’insécurité gagne leur camp”.

Indignation le 20 décembre de la part d’Alliance police nationale, second syndicat de gardiens de la paix (classé à droite). Dans un communiqué, Alliance déplore “une prolifération de sites ou autres blogs «anti flics»”. Devant “des propos diffamatoires, des outrages et des menaces”, le syndicat “en appelle au Ministre de l’Intérieur et au Préfet de Police afin que la justice soit saisie et que de tels sites soient fermés et leurs administrateurs poursuivis”. Le syndicat Unité-SGP Police, majoritaire, s'est joint le lendemain aux protestations.

En réponse, les posteurs d’Indymedia en ont remis une couche en publiant d’autres photos. Ils se réclament du copwatch, cette pratique nord-américaine visant à surveiller les interventions policières pour empêcher ou médiatiser les bavures. En 1991, un vidéaste amateur filme le tabassage de Rodney King, un jeune noir américain. Un procès a lieu. L’acquittement des policiers provoque les émeutes de 1992 à Los Angeles.

Chasse aux sorcières

Depuis, des groupes de citoyens, aux Etats-Unis, au Canada et plus récemment en Europe, s’organisent autour du copwatch. En France, le Raid-H, Résistons ensemble ou Que fait la police développent le concept par la recension des bavures ou l’appel à la vigilance citoyenne.

La démarche des internautes d’Indymedia va bien plus loin et relève d’autres inspirations idéologiques, entre antifascisme, anarchisme et mouvement autonome. “Nous photographierons et filmerons chaque flic en civil que nous diffuserons comme nos camarades le font dans d’autres villes”, écrivent-ils. Puisque la police dispose de fichiers sur les militants, ils inversent le procédé, avec ou sans commentaires sur les fonctionnaires désignés.

En novembre déjà, Indymedia Paris publiait la photo d’un policier accusé de bavure, avec son identité et un extrait de son profil Facebook. Début décembre, un autre policier était épinglé pour ses liens avec l’extrême-droite. L’exemple le plus significatif, dont les Parisiens s’inspirent, vient d’Indymedia Lille. En octobre, le site identifiait plusieurs policiers soupçonnés d’être proches du Bloc Identitaire. Indymedia Lille a également publié des photos de fonctionnaires de la BAC.

Le “copwatch” a donc tourné, pour certains, au procès en fascisme, voire à la dénonciation de simples policiers pour le principe. Comme lors des manifestations contre la réforme des retraites, où des participants ont “outé” des policiers en civil obligés de se réfugier derrière les cordons de leurs collègues.

A quoi ça sert? Un militant libertaire, dans une ville de l’Est, nous explique :

“Je l’ai fait localement en publiant sur mon blog la gueule de flics en manifs. Pour moi ce sont des personnages publics, ils ont fait le choix de représenter le maintien de l’ordre. C’est surtout pour leur montrer qu’on est pas des jambons : dans une petite ville ils ne peuvent pas passer inaperçus déguisés au milieu d’une manif.”

Ce trentenaire n’a jamais eu écho de quelconques représailles contre des policiers ou de poursuites contre ceux qui auraient publié leur photo. Il faut dire que les règles sont claires sur le sujet : sauf pour quelques exceptions dues à un poste "sensible", tout policier peut être photographié et filmé et les images être ensuite diffusées. Si un fonctionnaire veut porter plainte sur le fondement du droit à l’image (article 9 du Code civil), il doit démontrer un préjudice.

“Franck”, militant antifasciste parisien, est plus réservé:

“Que les gens soient au courant, c'est bien, mais il faut avoir les reins assez solides. C’est à double tranchant et assez dangereux.”

En juillet à Paris, un homme avait subi un interrogatoire au sujet de la divulgation de l’identité de policiers dans la brochure anarchiste “Analyse d’un dossier d’instruction antiterroriste”, publiée sur plusieurs blogs. Et en dehors du simple droit à l’image, certaines publications pourraient tomber sous le coup de la diffamation ou de l’outrage.

Mise à jour le 23/12 à 15h : Le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux a annoncé qu'il allait porter plainte contre Indymedia Paris. "